La Réunion : La véritable histoire de Grand-mère Kal  

Grand-mère Kal, notre épouvantail local, bien peu de gens savent sa véritable histoire. Une histoire triste à tout point de vue. L’imagination en a fait une épouvantable sorcière au cri sinistre, dont on menaçait les enfants pas sages refusant de s’endormir : « Grand-mère Kal va v’ni rôde a ou ! » Ce qui est une injustice flagrante eu égard à celle qui a vécu et péri de façon épouvantable.

De son vrai nom Kala, elle était une esclave malgache et fut employée à Mahavel, aux abords de Bois-d’Olives, sur les contreforts de la rivière Saint-Etienne. Il y a encore, en ce lieu, une vieille cheminée en pierres. Kala avait obtenu, ô miracle ! L’autorisation de son possesseur de se marier avec un autre esclave de la propriété dont l’histoire n’a pas retenu le nom. Elle eut plusieurs enfants, dont la moitié de son patron. Au bout de quelques années, les esclaves de cette propriété, las des mauvais traitements infligés, décidèrent de s’en « aller marron ».

Kala, après des années d’esclavages, de mauvais traitements, de viols à répétition, était devenue un pauvre être apeuré, timide, sans volonté. Ayant encore plus peur de la vie dans l’inconnu que de sa condition d’esclave, elle refusa de suivre son époux et ses congénères. Elle subit mille tortures de la part de son patron, un certain Dugain : On voulait lui faire dire où étaient partis les autres. Mais comment aurait-elle pu le savoir, la pauvre ?

Du côté des fuyards, son sort était déjà scellé : elle préférait son patron esclavagiste à ses frères de misère ? Elle était une traîtresse ; elle méritait la  mort. Les fuyards passèrent à l’acte quelques jours seulement après leur fuite. Ils revinrent une nuit et tuèrent la malheureuse dans son galetas.

Kala subit alors le sort réservé aux esclaves décédés : elle fut conduite au « Trou aux esclaves ». C’est un énorme promontoire dominant de quelques centaines de mètres le lit de la rivière Saint-Etienne de Mahavel à Bras-de-Pontho. Au sommet de ce promontoire existait alors un trou profond. On brûlait le cadavre de l’esclave mort et on jetait ses restes au fond du trou. Sans la moindre prière puisque, censément, les esclaves n’avaient pas d’âme !

Des centaines de pauvres gens ont donc terminé leur vie d’esclaves au fond d’un trou. Un trou qui n’existe plus aujourd’hui puisque tout le terrain environnant, qui appartenait pourtant à la commune de Saint-Pierre, a été vendu à des lotisseurs. Immeubles, maisons individuelles de luxe, promontoire rasé… Voilà le peu de cas que nous faisons d’une des pages les plus morbides et tristes mais essentielles de notre histoire.

Pourquoi et comment Kala, triste victime de l’esclavagisme, est devenue un épouvantail à enfants, voilà ce que personne ne sait.

Pour parachever la légende, on prête à cette pauvre femme une sinistre réputation de nymphomane lubrique se livrant, les soirs de pleine lune, à des orgies que la morale réprouve, du côté de la Fournaise, en compagnie de son âme damnée, Simicoundza Simicourba, autrement dit Sitarane.

Le plus bel hommage qui lui a été rendu est dans la plus belle chanson de Gilbert Pounia : « Kala ».

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Jeanne-Paule Honorine Visnelda, une « guérisseuse » qui a marqué La Réunion !

Néna in tacon domoune la marque nout zistoir La Réunion, entre autres Madame Visnelda ! Beaucoup i souvien que navé la queue devant son caz pou in remède guérison ! Jules que la connu à elle dans son zeune temps i partaze a nou un ti zistoir la arrive a li ek un dalon.

Mais qui est  Madame Visnelda ?

Jeanne-Paule Visnelda née Honorine de parents réunionnais, est originaire de Diego-Suarez. Elle apprend à connaître les plantes et leurs vertus médicinales auprès de sa grand-mère, Marie-Amédée. Son père, qui connaît aussi les secrets des plantes, lui transmet son savoir également. Curieuse, elle apprend aussi beaucoup auprès de Monsieur Bothard, botaniste à Saint-Gilles et devient comme on les appelle familièrement dans l’île : une tisaneuse.

Sa vie bascule à 18 ans

Jeanne-Paule Visnelda perd sa mère qui décède brutalement de violents maux d’estomac. Suivra son père 18 mois plus tard. Elle se retrouve seule pour subvenir aux besoins de ses cinq frères et sœurs. A la fois orpheline et chef de famille, elle réussit à poursuivre une formation de sténodactylo qui lui permet de devenir agent communal à Saint-Louis, puis à L’Etang-Salé, commune où son père avait créé une saline. D’études en examens, elle monte les échelons et devient la première femme secrétaire général de mairie à La Réunion, jusqu’à sa retraite en 1984.

La révélation de son don

C’est en 1952 que Jeanne-Paule Visnelda a la révélation du don qu’elle possède. Malade, elle entend une voix qui lui enjoint de se guérir seule, avec des plantes, puis de guérir les autres. Très vite, par le bouche à oreille, le don de Jeanne-Paule Visnelda est connu à travers toute l’île. C’est ainsi que pendant presque trente ans, elle reçoit des milliers de  malades gratuitement, les soignant par des tisanes, l’imposition des mains et des prières. Parmi ceux qui viennent la voir, beaucoup de malades imaginaires, esprits sensibles sur lesquels cette médecine parallèle fait effet.

Les malades affluent, une histoire sympathique

« C’était il y a longtemps ». « Mon confrère Alain Lemée, avec qui je bossais à Télé 7, devait recevoir une consoeur d’un grand magazine voulant effectuer un reportage sur Madame Visnelda. Il m’a demandé mon soutien vu que je connaissais cette dame de longue date. Un matin donc, nous voilà partis pour L’Etang-Salé. Il y avait une foule de « patients » devant le dancing de Madame Visnelda. Laquelle n’a été que trop heureuse « d’agir » devant la journaliste venue de France exprès pour elle. Car la guérisseuse a toujours soigné son image », raconte Jules.

Pile-poil, une famille désespérée venait soumettre une des leurs aux bons soins de la Visnelda, une pauvre fille « envoûtée » totalement absente, baragouinant des phrases incompréhensibles et secouée par intermittences de rires fous.

Réaction immédiate de Visnelda :

« Ah !!! Elle est possédée par l’âme de Sitarane ».

La pauvre « possédée » se dandinait d’un pied sur l’autre, soulevant parfois les plis de sa pauvre robe, exhibant ses parties en ricanant. Et surtout, continuant de « parler » en patagon.

« Voyez ! Regardez ! S’est écriée une Visnelda triomphante. Elle danse le salégy (ndlr : danse malgache semblable à notre séga). Elle parle en malgache… Sitarane la possède… Ah ! Ce Joseph Sitarane, il va falloir l’en débarrasser… ».

« J’étais déjà convaincu d’avoir affaire à un imposteur mais là, j’en fus définitivement persuadé et pour plusieurs raisons » renchérit Jules :

1. Sitarane ne s’est jamais prénommé « Joseph ». Son vrai nom était Simicoundza Simicourba.

2. Sitarane n’était pas plus malgache que vous et moi : il venait du Mozambique en qualité d’engagé volontaire.

3. Sitarane n’a jamais été le sorcier que dépeignent les légendes. Le seul vrai sorcier de la bande était Pierre-Elie Calendrin, auto-surnommé « Saint-Ange ».

(Bref, c’est mon opinion mais en regardant autour de moi, je voyais l’émerveillement dans la salle).

A grands coups d’eau salée dans les yeux et d’impositions des mains, Madame Visnelda a réussi à calmer cette pauvre fille.

« Elle avait sans conteste une très forte personnalité psychique et savait mettre ses « patients » en état de confiance. Elle avait une voix très douce en s’adressant aux malheureux mis en sa présence. Certains appelleront ça du « transfert » mais je réfute la psychanalyse », explique Jules.

« Je pense que Visnelda était d’une forte sensibilité, ce qui lui permettait de « sentir » l’autre. Et comme elle aimait les gens, elle avait trouvé ce cinéma pour leur venir en aide, tout en tenant compte du surnaturel auquel le Réunionnais est naturellement sensible ».

Epuisée par le travail, minée par le diabète, Jeanne-Paule Visnelda s’éteint au centre hospitalier de Saint-Pierre le 15 août 1991, jour de la grande fête catholique de l’Assomption qui commémore la montée au ciel de la mère du Christ, la Vierge Marie. À sa mort, plusieurs milliers de personnes l’accompagnent au cimetière d’Étang-Salé.

A la base, chacun ses croyances, ses pensées, ses pratiques, ses superstitions, c’est cela qui fait le charme de La Réunion et de son naturel sensible.