Chercheur en neurobiologie du diabète, Steeve Bourane, a été lauréat du 9 ème prix des « Talents de l’Outre-Mer » qui s’est déroulé le 15 septembre dernier au Musée du Quai Branly-Jacques Chirac. Une distinction qui récompense ses efforts et ses sacrifices consentis, tout au long de son parcours et qui lui permet aujourd’hui de réaliser son rêve, celui de devenir chercheur à plein temps à La Réunion.


Qui est Steeve Bourane?
Originaire de Saint-André plus particulièrement du quartier du Colosse , Steeve Bourane mène des recherches à l’Inserm. sur la neuropathie diabétique avec sa propre équipe depuis trois ans. Il a un parcours d’excellence. Après avoir obtenu son doctorat en Neurosciences à Montpellier en 2007, il intègre une équipe de recherche en postdoctorat au Salk Institute de Californie, établissement prestigieux aux États-Unis dans lequel fut créé le vaccin contre la polio et dont sont issus pas moins de 11 prix Nobels.
De retour sur son île en 2016, Steeve étudie la neuropathie diabétique. Véritable fléau, le diabète est une maladie qui touche près d’un habitant sur dix à La Réunion. Il est le parrain de la Fête de la science en 2021 et emporte également le « Nou la fait » organisé par l’école du digital Crealise.


Pourquoi es-tu revenu chez toi à La Réunion ?
Quand Steeve quitte sa terre natale en 1997, l’objectif est d’aller se former pour pouvoir revenir travailler un jour dans l’île et apporter son expertise au développement du territoire. En étant à l’étranger, Il ne pensait pas qu’il aurait pu trouver du travail localement dans son domaine de compétence.
“Pour des raisons personnelles, j’ai été contraint de revenir à La Réunion en 2016. Après une période de chômage, j’ai pu intégrer l’unité mixte de recherche DéTROI – INSERM U1188 en tant que post-doctorant pendant deux ans avec un financement de la Région Réunion. En 2017 et 2018 j’ai postulé au concours national de chercheur à l’INSERM pour devenir chercheur mais à chaque fois j’ai été recalé à l’oral. En 2019, j’ai retenté le coup dans une autre commission avec un projet de recherche plus ambitieux et plus en adéquation avec mon parcours scientifique et les besoins du territoire. Cette troisième tentative a été la bonne ! L’une des difficultés que j’ai rencontrées pour obtenir ce poste de chercheur était d’expliquer aux instituts de recherche métropolitains les raisons pour lesquelles je voulais faire de la recherche à la Réunion, qui est plutôt perçue comme une destination de vacances que comme un lieu d’excellence pour de la recherche scientifique. Tout au long de mon parcours, je n’ai jamais perdu La Réunion de vue. Je voulais revenir dans mon île car j’y suis attaché et j’ai un profond amour pour la culture réunionnaise et nos traditions”.
Quand as-tu senti la fibre pour la biologie? Et Pourquoi t’es tu intéressé au diabète?
Depuis que je suis jeune, j’ai voulu comprendre comment les êtres vivants fonctionnaient. Au collège, je capturais des petits scorpions que je ramenais à notre professeur de biologie pour les observer tranquillement dans le vivarium. Au collège comme au lycée, j’ai toujours été passionné par la biologie et c’était d’ailleurs la matière où j’obtenais mes meilleures notes. A l’Université, je me suis donc naturellement orienté vers les neurosciences pour mieux comprendre le fonctionnement du cerveau humain et la manière dont nous percevons le monde au travers de nos sens. C’est un sujet inépuisable qui continue de me passionner !
En rentrant à la Réunion, je me suis intéressé au diabète et à ses complications, en apprenant que la Réunion était le premier département français comptant le plus de diabétiques, notamment parce que certains produits alimentaires comme les sodas ou les yaourts dans les outre-mer étaient jusqu’à 30% plus sucrés qu’en métropole – jusqu’à ce qu’une loi de 2013 ne ramène les taux de sucre dans les produits en outre-mer au même niveau que ceux de Métropole . A La Réunion, près de la moitié des patients diabétiques est hospitalisée pour des problèmes au niveau des pieds (plaies et amputation). L’amputation étant l’une des conséquences les plus impactantes et traumatisantes pour les patients. Sur la base de ces observations, je me suis mis à envisager un projet de recherche utilisant mon expertise en neurobiologie permettant de mieux comprendre les évènements précoces menant à l’amputation chez les diabétiques : avec mes recherches, je veux mieux cerner comment le diabète va perturber le fonctionnement des neurones et des nerfs qui nous permettent de sentir la douleur et le toucher. La perte de sensibilité souvent au niveau des pieds au cours du diabète mène à l’apparition de plaies suite à des blessures non détectées et non traitées à temps.

Tu es passionné par ton métier, que souhaites-tu le plus réaliser ?
Professionnellement, je veux réaliser quatre choses : Premièrement, faire diminuer le nombre d’amputation de patients diabétiques à La Réunion. Il s’agit de faire de la prévention avec l’aide des médecins généralistes, des diabétologues, des podologues et autres professionnels de santé afin de détecter très tôt les patients à risque pour mieux les suivre et les orienter. La neuropathie diabétique reste malheureusement encore sous diagnostiquée à La Réunion par les professionnels de santé !
La deuxième est de faire prendre conscience aux patients l’importance de prendre soin de leurs pieds afin d’éviter/retarder l’apparition des plaies qui sont très difficiles à traiter, une fois installées, et qui sont à l’origine des amputations.
Troisièmement, je veux faire de la recherche de qualité et produire des publications scientifiques de haut niveau à La Réunion (oui nou lé kapab !) afin de démontrer aux instituts de recherche métropolitains que La Réunion est une terre d’avenir où il faut continuer d’investir.
Enfin, je veux aider notre jeunesse à trouver sa voie et préparer le terrain pour les futurs chercheurs Réunionnais.

Quel a été ta réaction en recevant le prix des Talents de l’Outre Mer ?
J’ai été très heureux d’apprendre que ma candidature avait été retenue par le Casodom pour être l’un des Talents de l’Outre Mer 2021. C’est une véritable fierté pour moi et toute ma famille. Ce prix, je le dédie à la mère de ma fille, Nelsy, malheureusement emportée par un cancer en 2016. Elle a joué un rôle très important dans mon parcours aussi bien au niveau professionnel que personnel. C’était un honneur pour moi de représenter La Réunion lors de cette cérémonie de remise des prix au musée du Quai Branly-Jacques Chirac à Paris. Je suis très reconnaissant pour les personnes qui m’ont toujours aidé et soutenu durant toutes ces années.
Depuis ton retour, qu’est ce qui a changé à La Réunion ?
Depuis mon retour, je trouve que pas mal de choses ont changé à La Réunion. A mon arrivée, j’ai été agréablement surpris de voir le dynamisme autour de la création de start-up, notamment dans le domaine de la santé. Les investissements de l’Europe, de l’Etat et de la Région Réunion permettent aujourd’hui aux jeunes Réunionnais de se lancer plus facilement dans l’aventure de l’entreprenariat. Je trouve qu’il y a une véritable avancée dans cette direction. A nous de profiter de ces opportunités pour permettre le développement de la Réunion de demain.
Pour le côté un peu plus négatif, je constate malheureusement que les « fast food » poussent comme « mové zerb » dans notre département. C’est hallucinant de voir autant d’enseignes dans certaines villes. On ne peut pas nous dire et répéter qu’il y a des problèmes d’obésité et de diabète et inciter les gens dans tous les coins de rue à consommer de la malbouffe ! Quelle hypocrisie ! Il me semble que nous n’avons pas encore tiré les leçons d’un passé pas si lointain ! Qu’attendons-nous pour réagir ? Pour ma part, je pense que nous devons nous-mêmes prendre les choses en main et d’arrêter d’attendre que les choses changent tout seul. Nous devons équilibrer notre alimentation malgré toutes les tentations environnantes, faire du sport et surtout alerter nos enfants des dangers de la malbouffe, afin d’enrayer la progression de ces maladies chez nous.

Quel est la place de la recherche à La Réunion ?
L’Université de la Réunion représente actuellement l’une des premières forces du territoire en matière de recherche. Elle compte 22 unités de recherche, dont 12 équipes d’accueil et 9 unités mixtes de recherche (UMR) rattachées à des organismes de recherche tels que l’INSERM, le CNRS, l’IRD ou le CIRAD.
Les domaines de recherche sont divisés en 3 grandes catégories : Droit/Economie/Gestion ; Lettres/Sciences Humaines ; Sciences/Technologies/Santé.
Ces laboratoires sont des structures essentielles à l’offre de formation pour les étudiants désirant faire de la recherche. Dans le secteur des Sciences/Technologies/Santé, 3 axes stratégiques se dégagent :
- L’amélioration des activités de contrôle et de prévention des crises, le développement de thérapies innovantes pour les maladies infectieuses et les maladies métaboliques chroniques.
- Cerner les processus écologiques à l’œuvre pouvant constituer des menaces pour la biodiversité.
- La biosécurité pour la production et la transformation agroalimentaires durables. En santé, la Réunion peut également s’appuyer sur la présence de plateformes de recherche telle que le CYROI mettant à disposition des plateaux scientifiques et technologiques mutualisés. La recherche à la Réunion est en plein essor et la mise à disposition de nouveaux espaces de travail, la création de nouvelles équipes ainsi que l’arrivée de jeunes chercheurs dans les années à venir devraient permettre à la recherche réunionnaise de passer un cap dans le futur.

Des conseils pour un jeune qui voudrait suivre tes traces de chercheur ?
Les conseils que je donnerais aux jeunes désirant devenir chercheurs, c’est d’être persévérants, tenaces, ambitieux et surtout de croire en leurs capacités. Mon parcours a été semé d’embûches avec plusieurs échecs (redoublement au BAC et à ma première année d’université, échecs successifs au concours de chercheur INSERM) mais avec la patience et le travail, j’ai pu à chaque fois me relever. Je suis arrivé à réaliser mon rêve de devenir chercheur à plein temps à La Réunion même si ça m’a pris du temps. J’ai toujours suivi mon instinct et ma passion. Ce métier, je le fais par amour et non pas pour l’argent. Un autre conseil que je donnerais, c’est qu’il ne faut pas hésiter à quitter La Réunion pour aller se former dans les meilleures universités et centres de recherche mondiaux afin de pouvoir revenir un jour nourrir La Réunion de vos expériences.