Cette extraordinaire aventure s’est déroulée dans les années 50 à Grande-Ferme, Plaine-des-Cafres, route du Volcan.
En ces années reculées, l’endroit était loin d’être aussi développé qu’aujourd’hui. Les fermes se dispersaient, se camouflaient, plutôt, au hasard des prairies et des bosquets, le long d’un petit chemin à peine macadamisé. On n’entendait que les meuglements des bovins et le son aigrelet des clochettes, les vagissements des brebis, le sifflement du grand vent se faufilant entre les collines.
Il y avait une petite école sans classe maternelle, avec deux cours « multiples », c’est-à-dire des classes dans lesquelles de valeureux pédagogues instruisaient, en même temps, des élèves allant du CP au certificat d’études en passant par les cours élémentaires et moyens. Autant dire que ces instituteurs jonglaient avec leurs programmes mieux que des clowns avec leurs bouts de bois !
L’actuelle route du Volcan n’existait pas. Les véhicules venaient jusqu’à la Grande-Ferme, point. Après, pour aller à La Fournaise, il n’y avait qu’un sentier vaguement tracé entre les genêts acérés comme des égoïnes, les ajoncs, les brandes, avec un sol d’une âpreté difficilement imaginable de nos jours. La première ferme se trouvait près du terminus de la route, environ deux cents mètres après l’école.
Ce matin-là…
Ce matin-là, la maman venait de rentrer après avoir conduit ses deux aînés à l’école. Jusqu’à midi, elle aurait à s’occuper de sa maison, de sa cuisine et… du « petit », quatre ans. Elle lui donna son bol de lait chaud et crémeux et commença à s’occuper de ses affaires. Au bout de quelque temps, elle n’entendit plus le gamin qui, un peu avant, babillait encore dans la cuisine. Par acquit de conscience (car il n’arrivait jamais rien), elle alla voir… et ne vit personne.
Elle jeta un œil dans chaque pièce, alla dans la cour, appela sans obtenir la moindre réponse. Son cœur se mit à battre follement. Aussi vite qu’elle le put, elle courut jusqu’à l’école : des fois que le petit ait eu l’idée saugrenue d’aller taquiner ses aînés. C’était déjà arrivé. Mais là-bas, rien non plus ! Personne n’avait seulement vu le petit.
Où est le petit?
Même chose avec son époux. Elle le rejoignait à toute vitesse dans le grand pré où il soignait ses bêtes. Pas de petit là encore. L’angoisse étreignit vite le coeur de ces braves gens. Ils firent, affolés, le tour des fermes avoisinantes, ce qui leur prit du temps, les fermes étant assez éloignées les unes des autres. Là encore, on dut se rendre à l’évidence: le petit n’était nulle part.
Les pires pensées les assaillirent. Peut-être s’était-il aventuré trop loin et était-il tombé dans une crevasse ? Peut-être avait-il été enlevé par un voleur d’enfants ? Il faut dire que les actes de sorcellerie macabre n’étaient pas rares alors. Le tristement célèbre « sorcier de Bras-Creux » faisait parler de lui. On le soupçonnait des pires vilénies, ce qui se révélera exact bien plus tard.
Mais là, l’hypothèse paraissait peu crédible. Dans ce paysage à l’habitat dispersé, où tout le monde se connaissait, la présence d’un étranger au pays eût été vite remarquée. Et personne n’avait vu quiconque de suspect.
Le papa se rendit, au pas de course, jusqu’au petit bourg du 27è Km, l’actuel Bourg-Murat, où se comptaient quelques dizaines de maisons tout au plus. Grâces à un maître d’école, il pu contacter les gendarmes du Tampon qui promirent de venir le plus rapidement possible. Ce qu’ils firent : avant la fin de la matinée, ils étaient là et accomplirent soigneusement leur tâche. Ils allèrent partout durant les quatre jours suivants, fouillèrent partout avec l’aide de plusieurs collègues venus en renfort de Saint-Leu, Saint-Denis, Saint-Joseph.
On ne trouva rien ! Pas même le plus petit début d’indice pouvant dire que le petit était peut-être passé ici où là. La maman faillit s’en trouver très mal et dut, outre les soins d’un médecin mandé au Tampon, pour se soutenir le cœur, avaler des litres et des litres de « tisane romarin », remède souverain contre « le saisissement » et autres avanies cardiaques, tous les anciens vous le confirmeront.
Les jours passèrent…
Environ une semaine plus tard, deux braconniers traînaient leurs gonis pleins de beaux tangues bien gras sur les hauteurs de la Grande-Ferme, très exactement sur les hautes falaises dominant de plusieurs centaines de mètres les sources de la rivière-des-Remparts. Le lieu-dit Mahavel. Il doit bien y avoir quatre cents mètres en chute libre.
Et là… Ils n’en crurent tout d’abord pas leurs yeux. Une vieille souche morte de tamarin-des-hauts surplombait le vide. Et, dans la fourche de deux de ses branches, bien assis, il y avait le petit, qui les regardait en souriant.
Comme l’écrit Saint-Exupéry : « Il n’avait pas l’air d’avoir froid, ni d’avoir faim, ni d’avoir soif ». En tout cas, son sourire disait assez qu’il ne semblait pas avoir peur non plus.
Les deux braconniers se demandèrent comment ils allaient pouvoir faire pour tirer le môme de sa périlleuse position. Ils posèrent leurs gonis, s’apprêtant à faire quelque chose mais quoi ? Ils n’en savaient rien. Ils avaient machinalement tourné le dos au gamin afin de se concerter sur le sauvetage à venir.
Ils se retournèrent vers le vieil arbre pour conforter le petit et là, connurent leur seconde surprise du jour : Le petit était au pied de l’arbre, à distance soigneuse du précipice, et les regardait en souriant. Du plus vite qu’ils purent, ils ramenèrent le gamin chez lui, le portant à tour de rôle sur leurs robustes épaules.
Soulagement….
Les parents de l’enfant pleurèrent de joie ; les gendarmes félicitèrent les braconniers, passant pour une fois sur leur larcin ; on appela le médecin qui ne décela rien d’anormal chez l’enfant. Le papa prit, ce soir-là, la plus belle cuite de sa vie et comme on le comprend.
Pour le reste, personne n’y a jamais rien compris : le petit ne put donner la moindre explication sur ses quelques jours loin de chez lui. Comment avait-il quitté la maison de sa famille ? Où était-il allé ? Avec qui était-il ? Qu’avait-il fait ? Avait-il eu froid ? Qu’avait-il mangé ?…
Il ne put rien en dire !
Cette histoire ne s’arrête pas là…
Elle m’avait été racontée, voici quelques décennies, c’était à l’époque du Mémorial de La Réunion, par le vieux Valère Payet, un paysan de la Plaine-des-Cafres. Valère a toujours été un conteur « à l’ancienne », un de ces vieux bonshommes qui savent passionner leur auditoire avec les contes les plus farfelus. Je me disais donc que c’était une de ses histoires, une de plus. Je m’empressai d’en faire part à mes lecteurs. J’étais loin de me douter…
Voici une vingtaine d’années, j’errais dans les rues de Saint-Pierre, sans doute à la recherche d’une buvette (excusez !) Dans les parages du marché couvert, je sentis qu’on me tirait par la manche. Je me retournai et vis un monsieur souriant, pas très grand, râblé. Une carrure de paysan et une bonne tête de mec franc du collier.
« Escuz’ à mwin dérange à ou monsieur. Ou sé pas monsieur Just, ou ? »
J’acquiesçai et il me dit tout-de-go : « A mwin minm le ti marmaille ou la raconte le z’histoire là ! »
À la prochaine !
Justinien vôtre!
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